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Les Pleurs du Mal – Postface

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Par Françoise Besson, Toulouse, 25 mai 2019

Les Pleurs du mal offrent un voyage bouleversant et régénérant dans une pensée poétique et politique qui commence avec le « Cameroun, berceau [des] ancêtres » du poète pour embrasser la planète, le bruit et la fureur qui la blessent et la souillent. « [S]on encre ne cesse de pleurer » et sa poésie s’écartèle entre la nature sacrée de Baudelaire qui a engendré la réécriture du titre du poète français, et la nature dévastée de notre monde qui saigne des coups assénés par notre espèce. Entre le sonnet classique du poète français, « Correspondances », et la force de la langue de Nsah Mala qui mêle français, anglais et langue Mbesa, lyrisme et langue du quotidien, qui jette à la face du monde ses violences et ses ordures, il y a bien une correspondance, celle des poètes qui écoutent le monde et se parlent au-delà des temps et des lieux dans une « conversation » jamais interrompue. Le poète n’hésite pas à lancer à la face du monde les ordures et les maladies qui déciment l’Afrique pour parler de la « culture de l’insalubrité ». Il y a du sang, du vomi, des excréments et des asticots dans cette poésie organique et vitale qui prend sa source dans l’humanité pour hurler sa vie, sa vie organique et sa vie spirituelle. Les larmes qui « inondent les vallées sèches » de nos indifférences sont là pour nous secouer et nous faire entendre la conscience.

La poésie de Nsah Mala fait entendre la vie, fait entendre la mémoire « des héros et des patrimoines oubliés », elle chante son amour du monde et son respect de l’autre, de l’esclave des siècles passés au migrant d’aujourd’hui. Sa poésie est aussi un hymne à la femme, celle « qui se laisse déchirer // afin que l’humanité puisse respirer », sa mère dans son village natal, resurgissant dans sa mémoire avec ses frères, assis « autour du four pour cuisiner le couscous, braiser le maïs, manger et discuter ». Le poète est enraciné dans sa famille comme il l’est dans le monde et dans la planète. Son encre fait couler ses larmes mais elle est aussi le sang de la vie qui soigne le monde blessé et torturé, qui redonne ce sang volé par les guerres et les violences et les systèmes économiques dévastateurs.

La poésie de Nsah Mala redonne la voix à tous les sans-voix du monde, elle refuse les divisions, les frontières et les séparations et elle connecte. La douleur crie dans les hommes tués sur les routes de goudron comme dans « le cadavre d’un oiseau sur une route humaine ». Humains et animaux non humains ne sont qu’un dans la souffrance généralisée du monde et les ânes que l’on transfère « comme des prisonniers au ventre de la nuit » racontent l’histoire tragique des hommes en même temps que la leur : « Ecoutez-nous, disent les ânes ». La poésie de Nsah Mala crie au monde d’écouter les humbles, les humains que l’on méprise, les ânes que l’on exploite, l’eau que l’on emprisonne. L’esclavage du fleuve raconte l’esclavage de l’Afrique. Rien n’est séparé, « le monde est rond comme une calebasse » et « les montagnes d’ici et de chez [le poète] se ressemblent ». Ces « montagnes vertes [qui] nous font signe », saurons-nous les voir ? Saurons-nous entendre la voix des ânes ?

L’encre de Nasah Mala « ne cesse de pleurer », de sa terre d’Afrique à la planète entière, et la force de sa poésie crie au monde pour que l’homme cesse de violer le temple de la nature de Baudelaire, de tuer cette nature où « l’humanité se noie dans son sang qui se fige ». Les lieux parlent au poète et lui soufflent les mots : Mbankolo, Perpignan, St Andrews, Edzell, Dakar, Saint Jacques de Compostelle, Bayreuth… L’itinéraire de vie devient cartographie poétique dans cette « Conversation avec Baudelaire » au-delà du temps, au-delà de l’espace. Les Fleurs du mal pleurent une encre de sang et de sève pour faire naître Les Pleurs du mal, qui secouent nos conforts pour nous montrer la voie à suivre. Les Pleurs du mal répondent aux Fleurs du mal pour « Dévoil[er] des secrets, reliant les générations // Comme les ponts relient les communautés » dans « la danse Bafia de l’humanité ! ».

Les « Correspondances » de Baudelaire sont la lettre à laquelle répond Nsah Mala pour la faire suivre à l’humanité et faire du sang versé une transfusion vitale de conscience : « [Il] écrit, laissant des traces comme un avion dans l’air », traces d’humanité qui racontent le monde pour conduire chacun à retrouver la voie du respect et de l’Amour de l’autre et du monde, pour retrouver la voix de l’oiseau et la force de l’eau.

Françoise Besson

Toulouse, 25 mai 2019

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