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Préface supplémentaire pour Les Pleurs du Mal

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Par Dr. Arsène Elongo, Université Marien Ngouabi, Brazzaville

Le recueil de poèmes de Nsah Mala que j’ai lu intégralement souligne les grands débats sur l’avenir et les techniques stylistiques du genre poétique. Ce poète novateur a choisi le genre poétique pour évoquer un message d’engagement social et politique sur les thématiques actuelles de l’Afrique et de son pays natal, le Cameroun. Ces thèmes sont : la corruption, la déchéance de l’État et du pouvoir, la dérive de la démocratie, la gratuité de la mort, les figures intertextuelles de la Bible comme l’évangile de Jean, Satan et les ténèbres, la liberté et le rêve de la modernité culturelle.

Avec Nsah Mala, l’avenir du genre poétique ne sera pas en déclin, bien qu’il soit hermétique au grand public. Ses poèmes ne visent pas la vocation de « l’art pour l’art », mais celle de l’art au service d’une cause sociale ou politique. Également, le message poétique de Nsah Mala se construit sur le chemin séculaire de l’hermétisme. D’ailleurs, ma lecture de ses poèmes en témoigne. Ses objectifs poétiques consistent à donner aux mots les couleurs de réalité de son époque, au point que son écriture poétique reste ouverte aux initiés, mais qu’elle est fermée au grand lectorat du roman ou du l’art. Son langage poétique remplit sans doute la visée de l’hermétisme au même titre que ce que les lecteurs voient chez le style de Stéphane Mallarmé.

Toutefois, Nsah Mala sait que le public africain ne manifeste pas souvent le désir de lire des poèmes, du fait qu’il reste le divertissement d’une élite, parce que cette élite possède la culture littéraire et les outils rhétoriques pour décoder un message aux interprétations plurielles et infinies. Mais, Nsah Mala garde son optimisme et pense que ce genre poétique lui sert de moyen pour s’engager contre les grands malheurs de l’Afrique contemporaine. Peut-être son message sera-t-il un champ pour les critiques littéraires et des études universitaires pour étudier la fonction sémantique de l’agencement des mots, pour évaluer la part de la fonction référentielle au cœur du langage poétique et pour analyser les esthétiques de la fonction poétique. Aussi Nsah Mala veut-il nous montrer que la poésie est loin d’être un genre sans intérêt en raison du désintéressement du grand public. Pour Nsah Mala, il est certain que son art poétique est instrument et moyen de véhiculer les grands thèmes de la modernité : celle de la rupture avec les comportements barbares et celle des changements des mentalités pour rêver une nouvelle Afrique.

Bien que sa mort soit sans cesse prononcée, le genre poétique marche vers l’infini du temps, grâce à la publication de Nsah Mala. Ses poèmes suggèrent des actualités de l’espace

francophone pour poétiser le mal, pour produire dans le cœur de ses lecteurs le rêve légitime de la modernité et pour appeler à tous la raison de défendre la liberté, les droits individuels, la démocratie, la gouvernance et le progrès scientifique.

C’est dans un tel contexte qu’il faut inscrire la publication de Nsah Mala. Ce dernier continue le chemin de la modernité inachevée, ce chemin forgé par les illustres poètes africains comme Léopold Senghor, Tchicaya U Tam’si, Jean Baptiste Tati Loutard et David Diop. Nsah Mala vient de produire un recueil de poèmes dont le titre évocateur est intitulé Les Pleurs du Mal. Ce recueil de poèmes se répartit en cinq parties suivantes : I- ne me corrompez pas ! II- vivre sans être libre ? III- jeune Afrique, nouvelle Afrique ? IV- le stylo qui nettoie, le stylo vert et V- conversations avec nous et les autres. Nous le considérons comme un monument poétique de l’Afrique du XXIème siècles, parce qu’il nous révèle les mérites et les innovations esthétiques de Nsah Mala.

Nous identifions l’originalité des poèmes de Nsah Mala à travers le décodage du titre poétique Les Pleurs du Mal. Ce titre souligne une fonction stylistique : la poéticité du mal. En effet, la syntaxe du groupe nominal « Les pleurs du mal » suggère autant de valeurs

rhétoriques :

  • La fonction métonymique par l’emploi de la conséquence « pleurs » à la place de la population africaine et particulièrement du peuple camerounais pour esthétiser les dérives sociétales des administrations étatiques, incapables de remplir justement et honnêtement leurs services vers les demandeurs et pour dénoncer les manœuvres despotiques d’un pouvoir pharaonique et tyrannique,
  • La fonction intertextuelle entre le lexique « pleurs » avec les romans comme Le Pleurer- rire, Ville cruelle
  • Fonction parodique pareille à la structure syntaxique d’un titre poétique de renommé,
  • Les fleurs du mal de Charles Baudelaire.

Si chez Charles Baudelaire le mal sera la matière poétique pour créer le beau, chez Nsah Mala le mal est comme la bête sauvage à tuer pour fonder une société sans pleurs.

On relève également un autre domaine d’originalité et de mérité de Nsah Mala lorsqu’on exploite le système actantiel du genre romanesque. Ainsi, cent deux (102) occurrences du locutif « nous », quarante-trois (43) occurrences du locutif « Je », vingt-cinq (25) occurrences du locutif « vous » et seize (16) occurrences du locutif « tu ». Ces variations actantielles créent une certaine innovation du genre poétique, du fait que Nsah Mala particularise son style sur l’emploi du pronom « nous », considéré l’instance de la modernité. C’est autour du « nous » que se construisent la rupture, le changement, le vivre ensemble, la liberté et la démocratie.

Chacun des pronoms cités éclaire la vision poétique de Nsah Mala.

Encore, l’un des mérites de Nsah Mala que je découvre dans ses poèmes s’agit de l’emploi des hypallages et du procédé de la phrase interrogative, figures dominantes dans son recueil poétique. En effet, les hypallages employées par cet auteur comme « les musées psychologiques » ou « l’alcool politique », « Les oiseaux métalliques » et « les rebelles écologiques » magnifient une évocation de la dérive, elles soulignent la critique contre d’anciennes habitudes nuisibles des certains acteurs africains ou camerounais entraînant des pleurs dans le continent que Nsah Mala critique. Ses hypallages sont les similis psychiques susceptible de chaque Africain à la prise de conscience qui est le chantre du changement ; Nsah Mala nous montre que le modèle de construire une nouvelle Afrique consiste à la débarrasser avec les figures symboliques du mal : la tyrannie, la violence, la mauvaise gouvernance et la corruption. Le choix stylistique des hypallages est jugé comme un mérite indéniable de ce poète novateur, car son désir est de voir que l’Afrique accède à la modernité sociale et politique. Pour y arriver, Nsah Mala choisit le procédé du questionnement contre les conséquences du mal humain. C’est ce qu’on identifie dans ces vers :

Savent-ils que ministre veut dire servant de l’État ? Qu’il veut dire esclave de son peuple et non

escroc ? Aiment-ils cette Patrie ? Non.

Par ces questions rhétoriques, Nsah Mala montre aux lecteurs les grands maux de la gouvernance dans les pays africains, incapables de distinguer entre la bonne ou la mauvaise gestion de la nation.

D’autres mérites de Nsah Mala portent sur la figure de l’ironie. Il l’emploie pour déconstruire les mentalités vivant sous la forteresse du mal. Il use de la technique de l’ironie pour appeler au changement de la gestion dans les hôpitaux, lieu capital et vital pour recevoir les soins de qualité. Il adopte cette technique stylistique pour les fins impressionnistes et esthétiques, car, il veut suggérer le bonheur futur de la nouvelle Afrique. En effet, si Nsah Mala a trouvé fort utile d’employer l’ironie, celle-ci lui permet de sublimer le mal pour bien le critiquer et pour nous proposer une nouvelle voie de la novation sociale. Grâce à la force expressive de l’ironie poétique, Nsah Mala nous fait découvrir le disfonctionnement de l’administration publique et du pouvoir. On retrouve la technique de l’ironie à travers les vers suivants :

« C’est ici que les malades soignent les médecins !

C’est ici que les malades attrapent plus de maladies ! ».

« Je veux ce qui rend sucré le pouvoir // pour que je puisse oublier mes devoirs ».

D’autres métrites de Nsah Mala se situent sur sa volonté d’apporter une nouvelle coloration à la langue française. Il intègre au genre poétique des mots d’emprunt « wanda », « des nchinda » et « l’arbrecide » qui évoquent les sonorités évocatrices des langues africaines, particulièrement les langues camerounaises. C’est ce qu’on retrouve dans ce vers plein d’évocation : « Je wanda comment vivent les habitants de l’eau ! ». Lorsqu’on continue de lire le recueil de poèmes de Nsah Mala, on découvre d’autres mérités fondés sur les métaphores et les anaphores rhétoriques qui sont les moyens stylistiques pour parler du mal.

Ainsi, la métaphore suivante l’illustre : « Maintenant c’est le mal qui vibre sur sa tige ! ». Le mal est caractérisé par une métaphore filée de l’arbre, celle-ci est présente dans plusieurs poème de cet auteur. Par exemple, l’emploi de la métaphore secondaire « tige » nous renseigne que le mal est comme un arbre avec les racines et les branches. Par cette métaphore, Nsah Mala nous montre que le fléau du mal se propage sans rencontrer de l’opposition devant un regard passif de la population africaine ou camerounaise. Pour activer cette conscience dormante face aux pleurs des victimes, Nsah Mala emploie un refrain anaphorique de ce vers : « Si nous aimons le Cameroun ».

Par conséquent, le recueil de poèmes de Nsah Mala que j’ai lu pendant les semaines constitue une contribution pour étudier les moyens nouveaux de la stylistique poétique, du fait que cet auteur ajoute à la poésie une figure rhétorique du genre romanesque : l’ironie au lieu

d’utiliser uniquement la métaphore.

 

Dr Arsène Elongo Université Marien Ngouabi,

Brazzaville

03 juin 2019

 

 

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